
« Qu'entends-tu dans les images ? », me demande le poète. « Arrête-toi, me dit-il, cesse de courir, suspends tes gestes, immobilise-toi et écoute. » Sur une table, un verre rempli d'eau, un panier d'osier où s'empilent des fraises, deux cerises, une pêche… Plus concrètement, de la peinture avec ses empâtements, ses modulations, les couleurs s'emmêlant sans façon, des rouges vermillon aux jaunes duveteux… Virtuosité certaine de Chardin, dans la reproduction exacte de la réalité, dans la ressemblance formelle par la conformité avec la nature ! L'évidence même de ces objets les rend-elle opaques à toute connaissance ultérieure ? La peinture ne me permet-elle pas de reconnaître le merveilleux sous la simplicité du quotidien ?
« Ne te contente pas de visiter, me dit encore le poète, regarde ! » Regarde avec le cœur… encore mieux, « écoute avec les yeux » ! Il m'invite ainsi à libérer en moi cet enfant que toutes les approches savantes s'acharnent à refouler et qui ne demande qu'à s'émerveiller sans calcul et sans ruse.
Regarde avec le cœur cette peinture à l'encre de chine de trois petits champignons au pied d'une jeune pousse de bambou. La simplicité des traits et leur force d'expression t'invitent à y entrer, à te rendre présent en ce lieu. Comme si la peinture t'absorbait par sa grande naïveté et sa déroutante humilité. Comme si s'ouvrait alors un horizon indéterminé, indépassable, un au-delà que tu ne peux pas voir mais qui est là en cet instant de présence. « Apprends que certaines musiques sont sœurs du silence, souligne encore le poète. Elles t'appellent à l'humilité… Heureuse es-tu, si tu les entends ! »
Écoute avec tes yeux, au-delà de la lecture difficile des signes à déchiffrer. Écoute avec ton cœur cette Visitation de Pontormo qui t'invite à participer à la scène. Le regard de la vieille femme, juste entre Marie et Élizabeth, est orienté vers toi, il t'interpelle. Entre dans le tableau, prends part à cette scène d'échange de regards. L'image peut ainsi t'affecter, elle a besoin de toi. Elle s'insinue dans ton espace intérieur où tu croyais être seul. Elle te procure, à l'occasion de sa rencontre, une expérience intérieure. C'est le temps pour toi de te donner à entendre et à vivre ce que tu as reçu en étant ainsi façonné par la matière. C'est le temps du recueillement qui t'invite à te recevoir de ce que tu as ici reçu. Cette rencontre devient alors une rencontre exempte de la prétention de savoir, elle se révèle être la trace d'une réalité qui demeure celle du mystère qui t'entoure et t'enveloppe. Cette rencontre, dans la mesure où elle n'est pas repli sur soi mais union personnelle avec l'autre, peut ainsi conduire à éprouver ce que tu es au plus profond de toi-même.
« Efforce-toi d'entrer dans le trésor de ton cœur », nous dit Isaac le Syrien. S'efforcer, face à la peinture d'une scène de récit biblique, n'est pas simpl...