C’est bien au piège des images et des logiques qui les construisent que nous risquons de nous laisser prendre, et Jésus lui-même fut tenté au désert de s’y laisser enfermer. En se tournant vers son Père, il révèle et démonte ce piège, et il nous engage avec lui dans une voie plus vraie et juste, mais, comme lui, au prix d’un combat intérieur.
La prière elle aussi peut être un lieu piégé où nous cherchons subrepticement ou avec la meilleure conscience du monde à être un « priant » aux yeux des autres, voulant témoigner là de son bien-fondé, de sa nécessité, de notre foi. C’est pourtant là que Jésus nous prend, si nous y consentons, pour nous emmener au plus « secret » de nous-même. Là où la sobriété du « Notre Père » s’alourdit du tragique et des larmes de nos vies, des handicaps de toutes sortes, de réconciliations impossibles, d’addictions oublieuses du pain quotidien qui nourrit, de perversions ou injustices infernales, qui occultent toute reconnaissance d’une bonté originelle. Dans ce « secret » où nous sommes d’abord des mendiants, l’Esprit seul peut entrer sans bruit, comme au Cénacle, toutes portes fermées. Sa paix nous étonne tandis que nos impuissances se font puissances d’accueil sans condition de l’autre qui s’invite dans nos vies. Nous pouvons donner sans compter ce que nous sommes, et nos manques les plus blessants inventent des liens fraternels inédits et audacieux. Ainsi semble grandir le Royaume de justice et de bonté, avec l’aide absolument nécessaire et salutaire des logiques d’organisation et d’efficacité qui peuvent toujours en altérer le sens.
Remi de Maindreville sj
Image : Détail de "Chasuble pour les temps de Carême et Avent." CC Ji-Elle