Par cette exhortation adressée à des communautés parisiennes peu avant la Révolution française, le Père Grou, « le plus insigne contemplatif du XVIIIe siècle français », selon Henri Bremond, souligne la nécessité de choisir entre deux esprits celui du monde ou celui de Jésus Christ
Écrit dans le contexte polémique d'un siècle qui s'accommode facilement d'un humanisme mondain, ce texte porte la marque d'un pessimisme foncier, bien différent du regard que l'Église porte aujourd'hui sur la société Mais par sa force et sa radicalité, il n'est pas sans faire écho à l'irréductible opposition des « deux cités » de saint Augustin et, en fin de compte, du combat de la lumière et des ténèbres selon saint Jean Par son appel à la décision intérieure personnelle, il se situe clairement dans le sillage des « deux étendards » de saint Ignace
Ce texte est extrait d'un recueil d'opuscules inédits intitulé Manuel des âmes intérieures (Gabalda, 1947) Pour mieux connaître l'auteur et le climat spirituel de son époque, on pourra se référer à Philippe Lécrivain, « Jean-Nicolas Grou et l'amour désintéressé » (Christus, n° 202 HS, mai 2004, pp 194-203)
CF



Qu'est-ce que le monde ? Et que doit-il être à un chrétien ? Deux questions bien intéressantes pour quiconque veut être tout à fait à Dieu, et mettre son salut en sûreté. Qu'est-ce que le monde ? C'est l'ennemi de Jésus Christ, c'est l'ennemi de l'Évangile. C'est cet assemblage de personnes qui, attachées aux choses sensibles et y mettant leur bonheur, ont en horreur la pauvreté, les souffrances, les humiliations, et les regardent comme les véritables maux qu'il faut fuir, et dont il faut se garantir à quelque prix que ce soit ; qui font, au contraire, le plus grand cas des richesses, des plaisirs, des honneurs ; qui les tiennent pour les véritables biens ; qui les désirent, qui les poursuivent avec une ardeur extrême, sans aucun choix dans les moyens ; qui se les disputent, se les envient, se les arrachent les uns aux autres ; qui ne se considèrent ou ne se méprisent mutuellement qu'autant qu'ils en ont ; qui fondent, en un mot, sur l'acquisition et la jouissance de ces biens tous leurs principes, toute leur morale, tout le plan de leur conduite. L'esprit du monde est donc évidemment opposé à l'esprit de Jésus Christ et de l'Évangile. Jésus Christ et le monde se condamnent, se réprouvent réciproquement. Jésus Christ, dans sa prière pour ses élus, déclare qu'il ne prie pas pour le monde ; il annonce à ses Apôtres, et, dans leur personne, à tous les chrétiens, que le monde les haïra, les persécutera, comme il l'a haï et persécuté lui-même. Il veut qu'à leur tour ils fassent une guerre continuelle au monde.
Dans les premiers siècles de l'Église, où presque tous les chrétiens étaient des saints, et le reste des hommes plongés dans l'idolâtrie, il était aisé de faire le discernement du monde, et de connaître ceux qu'on pouvait fréquenter et ceux qu'on deva...
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