Auteur de la biographie officielle de Newman pour son procès de béatification, le père Keith Beaumont était le plus qualifié pour présenter, en France, sa spiritualité. Aussi à l’aise dans la culture française que dans sa culture d’origine, il sait devancer les questions sur la complexité de la question religieuse Outre-Manche. Dès lors, la « conversion » de Newman, au milieu du xixe siècle, apparaît moins comme un retournement que comme un approfondissement : l’apostolicité de l’Église, sa fidélité aux origines, c’est dans l’Église romaine qu’elle lui est apparue, peu à peu, pleinement réalisée. Sa conversion est d’abord le fruit d’une méditation sur l’Église.
On mesure par là l’injustice du reproche qui lui a été souvent adressé d’avoir cultivé un christianisme d’introversion. « Myself and my Creator » : la célèbre formule ne dénote nullement un goût douteux pour un tête-à-tête intimiste. La spiritualité de Newman, son sens de la Présence intérieure qui sollicite tout homme, est née, s’est approfondie et épanouie au sein d’une expérience ecclésiale et d’une vocation apostolique intensément vécues, dans l’Église anglicane d’abord, puis dans l’Église catholique, au prix de bien des incompréhensions et avanies.
Si le Dieu de Pascal était un « Dieu caché », celui de Newman est bien un « Dieu intérieur ». Ce qui fait la modernité de son témoignage et de sa doctrine, c’est que, pour lui, la relation à Dieu est d’abord vécue dans la « conscience ». Non au sens simplement moral du terme ni au sens purement psychologique, mais au sens « éthico-religieux », comme le souligne justement le P. Beaumont. Chacun peut s’y retrouver. Newman parle d’« expérience ». « Expérience » ! Ce sera le mot-clef de la modernité, non sans ambiguïtés d’ailleurs, chez les penseurs de la vie spirituelle, de William James à Bergson en passant par Bremond et von Hügel.
Ce n’est pas un assentiment « notionnel » qu’appelle, selon lui, la foi chrétienne, mais un assentiment « réel ». C’est pourquoi Newman n’aurait pas aimé être considéré comme un « théologien », alors que sa science biblique et surtout patristique étaient sans égales pour son époque. La théologie scolastique laissait échapper, à ses yeux, la saveur de l’expérience spirituelle. Son propos était de manifester l’articulation (en anglais, connection) entre théologie, vie morale et vie spirituelle. Ce fut sa grâce d’y avoir réussi, comme le montre bien K. Beaumont.
Henri Brémond créditait Bérulle, fondateur de l’Oratoire de France, d’avoir « restauré la vertu de religion ». Newman a fait mieux qu’oeuvre de théologien. Il s’est inscrit, sans en avoir conscience peut-être, dans le sillage de Bérulle. Si « religion » signifie « relation », conformément à l’antique contresens, sa religion à lui est bien celle d’une relation vécue avec Dieu dans l’Église.
Profondément humaniste, comme saint François de Sales, son auteur spirituel préféré semble-t-il, il s’est reconnu dans le projet de saint Philippe Néri, fondateur du premier Oratoire, et de saint Ignace de Loyola qui, ditil, « portèrent l’Église vers le monde et tentèrent d’amener sous son joug léger tous les hommes qu’ils pouvaient atteindre » (p. 453).
 
Dominique Salin