« Si vous ne changez pas et ne devenez pas comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux » (Mt 18,3). Mais comment devenir comme des enfants pour accueillir le Royaume de Dieu ? Comment un homme pourrait-il naître une deuxième fois, étant vieux ? demande Nicodème à Jésus dans la nuit de son questionnement.

Nous devenons enfants de Dieu par le baptême qui nous ouvre à la vie de l’Esprit du Ressuscité : parents et proches sont souvent encore ceux qui nourrissent et éduquent cette vie, jusqu’à ce « sevrage » – que souligne Brigitte Picq de façon très originale – où l’enfant s’intègre librement à la communauté pour y grandir dans la foi. Devenir enfant, c’est se laisser engendrer. Dans la Bible, raconte passionnément Yves Simoens, Dieu crée et sauve par engendrement : exister, c’est être accueilli comme « fils ou fille de », inscrit dans une suite de générations. L’enfant peut alors être signe de la vie donnée par Dieu, vie qui sauve, signe de sagesse.

Mais cette référence à l’enfant comme signe de gratuité, d’abandon et de dépendance, est-elle encore pertinente dans une culture où « l’enfant roi » devient toujours plus un « roi de laboratoire », où l’attente, l’espérance que l’on met en lui se mue en projet technique et juridique, dont les composantes sont clairement identifiées et « tracées » (Olivier de Dinechin) ? L’homoparentalité accentue encore l’ambiguïté actuelle de ce désir d’enfant.

Pour entendre de façon neuve la parole évangélique sur l’enfance spirituelle, il nous faut prendre le temps de contempler l’enfant tel qu’il est, et s’engager ainsi dans une conversion radicale à laquelle nous invite Paul Houix : l’attitude spirituelle induite par Jésus et développée par la tradition mystique ne consiste pas à « redevenir » enfant mais à le « devenir ». L’enfance spirituelle est une terre promise vers laquelle Dieu nous appelle, comme son peuple, à « voyager » au désert en attendant tout de Lui. Et l’enfant peut être un guide de ce voyage par sa sensibilité à ce qui le dépasse et son ouverture au mystère, qui le font grandir dans une relation avec les éducateurs attentifs à nourrir sa capacité à attendre, à désirer, à être, comme l’a si bien mis en oeuvre Maria Montessori (cf. Jeanne-Françoise Hutin).

Pas de confusion possible, donc, entre enfance spirituelle et infantilisme, insiste François Marxer, car c’est bien d’être, comme Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face, à la recherche de l’enfance et de la filiation en Dieu qui donne de devenir en vérité visage de Jésus dans le monde et pour d’autres. En témoignent ces merveilleux regards échangés entre enfants et adultes, que nous donne à voir Chantal Leroy à travers l’art, dont cet enfant que Louis Jammes pose sur une croix – signe de l’odieuse souffrance des innocents ou de la maladie.

La foi en Jésus-Christ invite à se reconnaître « fils de Dieu étant fils de la résurrection » (Lc 20,36). Les parents ne l’éprouvent-ils pas quand leurs enfants les engendrent à eux-mêmes de manière nouvelle et les entraînent à revisiter leur propre enfance (cf. Jacques Arènes) ? Religieux et religieuses, quant à eux, savent lire dans cette filiation l’origine de leur liberté. À écouter Philippe Charru et Véronique Fabre, et ceux qui se confient à eux, on mesure combien ils servent l’oeuvre étonnamment créatrice de l’Esprit, engendrant à une vie toujours nouvelle et féconde.