Maurice Joyeux, jésuite, JRS

« Ces lignes ne sont pas une étude sur la situation des réfugiés. L'expérience que nous en faisons au JRS en Grèce est trop fraîche. Tant de personnes sont encore, à cette heure, comme en attente d'exister. Tant de familles ont disparu en mer pour toujours ! Un silence est requis pour donner quelque place au vertige, quelque poids à l'écrit. » Ce texte a été « jeté » comme une bouteille à la mer par l'auteur. Nous laisserons-nous toucher devant la force d'interpellation qui l'a saisi ?

Mai 2015… Tout est allé très vite. Par dizaines puis par centaines et milliers ils ont accosté sur les rives de quelques îles et l'on a commencé à parler d'eux. Plus tard on a aussi parlé d'« elles », d'« elles et leurs enfants » tant il y eut de femmes en exode, d'enfants portés par leurs mères…

Le temps de la sidération
Nous avons tenté d'aider

Ils étaient comme sans visages, sans histoires racontables ou racontées. C'est qu'il fallait parer au plus pressé si l'on voulait (mais combien le voulurent, autres que des passeurs ?) les aider, les accueillir et les orienter dans leur marche. C'est aussi qu'il aurait fallu en saisir les langues dont ils ne faisaient d'ailleurs que peu d'usage, tant le monstre de la mer affrontée, consentie et maîtrisée, imprégnait encore leurs corps. Il y eut de nombreux Grecs, et parmi les plus pauvres, qui donnèrent et se donnèrent sur les plages. Ces réfugiés visaient l'Allemagne et même la Suède, la Hollande, la Norvège ou la Finlande. À peine étaient-ils arrivés comme en une grande victoire, une grande délivrance, et quel qu'en soit le prix (jusqu'à 2 500 € par personne, en bateau pneumatique), il leur fallait marcher, se livrer à la police, patienter des jours et des nuits pour se faire enregistrer, se doter d'un ticket de bateau vers Athènes (60 € depuis Lesbos), reprendre souffle puis débarquer au port du Pirée. Ils formèrent malgré eux des vagues « des-humaines », au sortir des cales, aux bouches grandes ouvertes des ferries.

Durant tous ces mois, jusqu'en février 2016, nous avons tenté d'aider, de servir quelques repas en notre foyer d'accueil ou « halte de jour » qui devint aussi – et bien vite – « halte de nuit ». Nous ne les avons pas vraiment « accueillis », nous nous sommes proposés, quêtant une confiance, puisant dans un flux bigarré d'hommes et femmes de tous âges, auprès de réfugiés hagards ou déterminés, de quelques corps pressés, quelques vivants en fuite emportant enfants et dérisoires bagages… Un stock de vêtements et...


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