Depuis plus de vingt ans, le tournant du millénaire incitant aux bilans et aux inventaires, un grand nombre de recherches ont porté sur la mémoire, l’oubli et l’identité, donnant lieu à ce que Pierre Nora a appelé la « déferlante mémorielle » qui semble toucher le monde entier 1. Notre époque au devenir incertain et aux identités chancelantes, espère-t-elle trouver dans cette une quête mémorielle les assurances que le présent ne peut plus donner et que l’avenir menace ?
Il est vrai que les mutations sociales et culturelles de la modernité, mais aussi le phénomène de la mondialisation, ont bousculé les repères identitaires et le lien au passé. Le rapport des individus aux traditions qui le précèdent ne sont plus de l’ordre d’une appartenance tranquille où le groupe (la famille, la religion, le métier, la nation…) assurait aux personnes un statut, une identité et un sens. Désormais, l’individu autonome est comme « sommé » de trouver son identité par lui-même, usant des propositions de sens à sa disposition (et, parmi elles, celles des grandes traditions religieuses ou philosophiques) pour construire son univers à l’aune de son expérience, et cela d’une manière toujours révisable, compte tenu de sa mobilité. Les communautés croyantes, avec leur héritage et leur invitation à entrer dans une « lignée de croyants » 2, ont donc une place dans la quête individuelle de l’identité et du sens mais elles apparaissent davantage comme des sociétés électives, plurielles et transitoires que comme des communautés d’appartenance stables et univoques.
C’est dans ce contexte que des philosophes, et tout particulièrement Paul Ricoeur, ont cherché à mieux comprendre la construction des identités personnelles et se sont intéressés aux problèmes posés par la mémoire et l’oubli qui lui est corrélatif. La question de la mémoire qui se pose à la fois au plan individuel et collectif, comme nous le verrons, s’inscrit dès lors dans la réflexion sur l’identité du sujet, acteur de l’histoire et inséré dans la société. La réflexion sur la mémoire est très liée à celle de notre capacité d’agir et de vivre ensemble. Je voudrais retracer ce parcours.
 

Les interrogations du sujet sur son identité


Que la mémoire ait partie liée avec l’identité, la chose semble a priori évidente. Ne sommes-nous pas constitués en grande partie par nos souvenirs et nos expériences, et aussi par la mémoire collective des groupes auxquels nous appartenons ?