La résurrection de Lazare (Jn 11)

  1. Le récit de la résurrection de Lazare, au 5° dimanche de Carême, nous présente Jésus débordé par l’émotion. Il « pleure », il « est ému », il est « pris », puis « repris par l’émotion », il est « bouleversé ». Son attachement à son ami Lazare et à ses sœurs, Marthe, Marie, chez qui il aimait s’arrêter et converser, les rend d’autant plus sensibles à son absence au moment de la maladie, puis de la mort de « celui qu’il aime ». Une certaine incompréhension, du reproche même affleure dans les mots de Marthe, repris peu après par Marie : « Si tu avais été là, il ne serait pas mort ».Mais dès qu’il approche Jésus est pris par l’émotion.

La divinité de Jésus se cache sous l’émotion qui nous étreint tous quand la mort et la vie s’affrontent, quand l’amitié se brise sur la mort, quand un être cher disparait. Plus encore quand nous n’avons pas pu échanger un adieu, un dernier mot avant la disparition. L’émotion, c’est notre humanité, c’est notre corps qui réagit et se lie, se joint aux autres dans une même sensibilité, une même peine. Et Dieu n’y est pas étranger. C’est même là qu’il nous rejoint.

  1. Jésus est aussi travaillé par l’Esprit du Père qui l’habite dans toutes les fibres de son être et jusque dans les émotions qu’il éprouve. Comment vivre un moment aussi tragique et émouvant comme un évènement de révélation, comme une « manifestation de la gloire de Dieu » ? Comment vivre le débordement d’émotion dans l’union à Dieu ? Spontanément, comme Marie, nous avons envie de nous refermer sur notre peine ou notre tristesse, de nous isoler dans le repli, le désespoir inconsolable. Ou alors nous retrouverons-nous davantage en Marthe qui semble se cliver : sa foi en la résurrection à la fin des temps  lui donne la force de tenir dignement dans la peine, d’affronter les visiteurs, de maîtriser ce qui se passe malgré la douleur.

L’Evangile indique une autre voie qui peut devenir la nôtre : appeler le Christ, aller à sa recherche et l’inviter en se confiant à lui, en lui laissant l’initiative que lui seul peut prendre. Alors, dans  nos deuils et nos peines, mais aussi dans les situations personnelles et collectives les plus mortifères,  insupportables, pénibles, mensongères, puantes mêmes ou sans issue, celles qui nous ligotent et nous enferment,  il est le seul à pouvoir venir en vérité au-devant de nous, à prendre l’initiative pour nous secourir gratuitement. Et il nous prend avec le peu que nous pouvons lui donner dans ces moments là, mais notre désir et notre consentement lui suffisent  pour ouvrir le tombeau de nos cœurs, pour transformer notre émotion en paroles, en gestes, en regards et relations de vie.

  1. La résurrection commence là avec Jésus-Christ, quand nous nous abandonnons à celui qui vient à nous et ouvre nos tombeaux, pour que renaître à la vie qu’il donne gratuitement et partage avec nous. Nous en devenons les bénéficiaires et les porteurs les uns au bénéfice des autres. Lui seul peut ouvrir et faire sortir du tombeau, mais à nous de délier, de libérer, sur sa parole. A nous alors, comme lui, d’affronter l’odeur de la mort, et comme les proches de Lazare, de mettre les mains dans ce qui se décompose, de se salir les mains pour soigner la vie qui germe au cœur de la mort et renaît. Le salut, la vie par la résurrection sont une création nouvelle à laquelle nous sommes invités dès maintenant à participer.

Dans «  La joie de l’Evangile », le pape François invite l’Eglise, les croyants et les hommes de bonne volonté à sortir de soi, à sortir des émotions et de tout ce qui menace de nous enfermer pour nous crotter au service des hommes, du monde et de la vie, car là sont la joie et l’avenir promis par Dieu et donnés dans la foi. Aider la vie à naître et à renaître, à traverser les épreuves et les impasses, là où nous sommes et spécialement là où elle est le plus menacée par la précarité ou le mépris, c’est rendre aujourd’hui vivants et féconds les liens fraternels et amicaux qui unissaient Jésus avec Lazare, Marthe et Marie, c’est faire avancer la Résurrection dans le monde. Une prière humble et vraie y conduit, comme celle de Marthe et Marie.