Est-ce une irrévérence que d’aller glaner parmi les Fleurs du mal de Charles Baudelaire (« Harmonies du soir »), dans le dessein de donner matière à quelques réflexions sur l’adoration eucharistique et de leur fournir une amorce inédite ? Si maudit qu’on l’ait par après déclaré ou qu’il se soit cru lui-même, Baudelaire eût-il pu dire cela, si un autre n’avait dit : « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22,19), et auparavant : « Ceci est mon corps » (Mt 26,26), sans user d’un autre ostensoir, ce soir-là, que de ses propres mains ? Car, dans la religion de Jésus-Christ, la chair même – et toute chair à la suite de celle du Verbe – est consacrée comme ostensoir de Dieu. Parce que Jésus-Christ est pauvre, il ne veut pas d’autre ostensoir que celui-là, et ne souffre les autres qu’à condition qu’ils lui soient relatifs.
Pour « adorer en esprit et en vérité » (Jn 4,23), il nous faut tou­jours vérifier (tant la vie spirituelle est rigoureuse) que la fascina­tion exercée par l’ostensoir de vermeil ne remplace point en nous l’appétit du « pain quotidien » (Mt 6,11), et que l’azyme, confinant à une immatérialité dont nous rêvons si souvent pour nous-même, ne nous fasse oublier la manne, c’est-à-dire la difficile Réalité sur laquelle nous poserons sans cesse des questions : « Qu’est-ce que c’est ? » (Ex 16,15) et qui nous en pose elle-même de si pressantes et de si radicales : « Qui suis-je ? » (Mt 16,15), « Crois-tu ? » (Jn 9,35), « M’aimes-tu ? » (Jn 21,15). Peut-être l’adoration eucharistique n’a-t-elle lieu d’être que pour laisser à toutes ces questions, de part et d’autre, le temps de se poser, le temps de retentir.

Aide-mémoire


Encore ce qui « luit » ici n’est-il pas un simple « souvenir » ému, mais la mémoire vive de la Pâque de Jésus, célébrée en Église. « Souviens-toi de Jésus-Christ, ressuscité d’entre les morts… » (1 Tm 2,8) ; « Éveille-toi… et sur toi luira le Christ » (Ep 5,14). La lumière vient, pour l’Église tout entière et pour chacun de nous, du Mémo­rial (anamnèsis), et l’« ostensoir », la