CHRISTIAN SAURET Spécialiste en gestion des ressources humaines, membre du Mouvement Chrétien des Cadres et dirigeants (MCC) et du Comité de rédaction de Christus, Paris.

CAROLINE FERTÉ Avocate, spécialiste en droit social, membre de la Communauté Vie Chrétienne, Paris.
 
Christus : Comment l’estime de soi peut-elle s’inscrire dans le déve­loppement d’une entreprise ?
Christian Sauret :
La notion d’estime de soi est totalement absente du vocabulaire du monde du travail. Je ne saurais dire pourquoi. Spontanément, j’ai l’impression qu’elle renvoie à des dimensions psychologiques, et peut-être morales, que le monde du travail a coutume d’ignorer, en tout cas de ne pas prendre en considéra­tion. La prise en compte du problème d’une personne (voire d’un groupe de personnes) qui serait dans une situation anormale du point de vue de ce que nous appelons l’estime de soi, de la manière dont il se sent valorisé ou dévalorisé, n’intervient que lorsqu’il y a déviance manifeste. Si la déviance est du côté de la surestime (par exemple, le dirigeant qui ne juge plus avec justesse ses limites, ses capacités), on pourra tout au plus en prendre acte. Dans le cas d’une déviance négative, on demandera en général au médecin du travail ou au psychologue d’intervenir, ce qui signifie que le collaborateur concerné est sorti du cadre habituel de l’entreprise.
Caroline Ferté : Le dictionnaire Le Petit Robert donne cette défi­nition de l’estime de soi : « Juste opinion de soi qui donne une bonne conscience », et il relève des synonymes comme « fierté », « réputation », « respect », « considération », « dignité ». Ces termes me renvoient à la question de la reconnaissance au travail. Un sujet sensible, c’est, par exemple, l’évaluation des personnes. D’un point de vue juridique, le recours à des systèmes d’évaluation trop subjec­tifs et donc pas assez objectifs est critiqué. Aujourd’hui, on s’est mis à peu près d’accord sur les grandes familles de facteurs de risques psychosociaux, à savoir la conduite du changement, les relations de travail, les conflits éthiques et la charge de travail. Les « conflits éthiques » surviennent lorsque quelqu’un est contraint de faire un travail où il ne se reconnaît pas totalement, un travail de « non-qualité » (ce qu’on appelle la « qualité empêchée »). Par exemple, un vendeur de téléphones portables à qui l’on demande de vendre un abonnement à l’international à une personne qui n’en a pas l’utilité n’aura pas une juste estime de lui-même parce qu’au fond il est en désaccord avec ce qu’il fait ; mais il le fait quand même parce que cela rentre dans ses objectifs et qu’il a peut-être une commission dessus. Enfin, l’estime de soi peut être plus fondamentalement liée à l...

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