Ce livre est sans doute l'œuvre théologique majeure de John Henry Newman. Il s'agit de conférences prononcées dans l'église anglicane de Sainte-Marie-la-Vierge, à Oxford en 1837, et publiées sous forme de livre l'année suivante. L'auteur les republia en 1874, alors qu'il était catholique depuis presque trente ans, en modifiant très peu le texte mais en ajoutant une nouvelle préface et des notes, convaincu de la validité pour les deux Églises de l'essentiel de sa pensée. Cette nouvelle édition, avec une traduction considérablement remaniée et améliorée, inclut les préfaces de 1838 et de 1874, les sommaires de chaque partie rédigés par Edmond Robillard, et les notes de celui-ci qui occupent près de quatre-vingts pages à la fin du volume.

Le concept de « justification » nous est peu familier aujourd'hui ; mais il constitue un élément important de la pensée de saint Paul et, pour Martin Luther, la « justification par la foi seule » était la doctrine centrale du christianisme. Le véritable objet des critiques de Newman n'est cependant ni le luthéranisme ni le catholicisme romain en soi, mais l'idée selon laquelle la « justification » peut être séparée de la « sanctification », c'est-à-dire d'un processus actuel de renouvellement ou de transformation du chrétien. Sa pensée est ici très loin d'avoir un intérêt simplement historique. Le concept de justification est englobé en effet dans celui du « salut ». Newman nous invite donc à une réflexion sur la nature et les modalités du salut et, tout particulièrement, sur le rapport entre salut et vie spirituelle. S'agit-il simplement d'être reconnu comme « juste » (donc d'une justice « imputée »), ou bien d'être rendu « juste » (ce qui implique un « renouvellement » ou une transformation intérieurs) ? Si c'est le Christ qui nous sauve, comment le fait-il ? Nous a-t-il sauvés par une action passée, ou nous sauve-t-il ici et maintenant, par une action présente, à savoir la présence agissante et transformante en nous de son Esprit ? Ne devons-nous pas alors nous laisser sauver par l'accueil en nous de cet Esprit ?

L'élément clé de la théologie newmanienne du salut est ici, en effet, le concept de l'inhabitation divine. « La justice justifiante, dit l'auteur, consiste dans la venue et la présence de l'Esprit saint à l'intérieur de nous » (p. 169). Le « don de Dieu » que nous annonce et promet l'Évangile est « nécessairement à la fois notre justification et notre sanctification, puisqu'il n'est rien d'autre que l'inhabitation en nous de Dieu le Père et du Verbe incarné par l'Esprit saint. […] C'est cela, être justifié [ou « sauvé »], c'est recevoir en soi la divine présence et devenir le temple de l'Esprit saint » (p. 174). Avec une remarquable perspicacité psychologique et spirituelle, il dénonce le piège de l'« autocontemplation », c'est-à-dire la tendance (présente chez certains de nos contemporains aussi) à « contempler directement nos sentiments comme le moyen, la preuve » de la justification (ou de notre salut) et à faire « d'une certaine expérience intérieure, d'un certain état de conscience sentimentale, la preuve de la justification » (ou du salut). Plusieurs de ses sermons anglicans démasquent et dénoncent également cette tendance.

Malgré son caractère parfois un peu austère, cet ouvrage constitue une contribution majeure à une réflexion sur la théologie du salut et sur son rapport à notre vie spirituelle. Je me permets cependant de pointer une difficulté, qui tient à une limite de la langue française : le mot « justice » sert à traduire deux mots anglais, justice, qui évoque le juge et le tribunal, et righteousness, qui signifie plutôt justesse, droiture, et même éventuellement miséricorde, toutes qualités inhérentes à Dieu et que celui-ci nous communique pour faire de nous des hommes righteous (mot qui peut, en revanche, se traduire par « juste ») à son image. Or, Newman emploie très souvent le mot righteousness qui se trouve traduit ici par « justice ». L'absence d'un terme spécifique en français pour traduire ce mot crée une ambiguïté et une confusion regrettables, souvent dommageable pour notre image de Dieu et notre conception de notre relation à Lui.