Le psychanalyste J.-B. Pontalis écrit :
Mieux qu’être le préféré, l’élu – comment en être sûr ? –, être l’unique. Et mieux qu’être l’enfant unique, devenir unique. […] Comme il est tenace le désir d’être le préféré, l’élu ! Comme il resurgit au moment du partage ! Que de brouilles familiales il provoque ! Il arrive qu’elles se répètent de génération en génération. À l’origine du conflit : une mère ne se partage pas.
C’est précisément cette souffrance d’une équation contradictoire provoquée par l’arrivée d’un rival qui va obliger chacun à interroger ses illusions d’omnipotence et à se poser des questions :
– Mais aussi et surtout souffrance qui oblige à chercher une issue à cette concurrence pour l’amour de la mère, puis des parents. Et les enjeux sont ici existentiels : au creux de cette rivalité fraternelle, qui va ou non permettre le maniement de l’agressivité dans l’accès à l’ambivalence, commence à se poser une double question concernant ma propre identité. Me demander : « Qui suis-je ? » oblige nécessairement à me demander, dans le même mouvement : « Qui es-tu ? » Cette mère qui ne se partage pas, dont parle Pontalis, est une mère avec qui je me confonds. D’emblée émerge le problème d’une place à trouver et à construire qui nécessite d’abord de se séparer d’un autre que j’ai fantasmé même que moi.
Repensons à toutes les figures de la Bible contraintes d’abord à un exil hors de la terre maternelle : Jacob, Joseph, Moïse ; ou repensons à cet épisode où Loth dispute à son frère Abraham une terre trop exiguë pour qu’ils y restent ensemble. Afin de rester en paix l’un avec l’autre, Abraham suggère alors qu’ils se séparent, lui laissant le choix de la terre : « Si tu vas à gauche, j’irai à droite ; si tu vas à droite, j’irai à gauche. » Une place à trouver, c’est un territoire à occuper pour soi, dans la solitude.
Ma place, je la trouve là
Alors, bien sûr, il y a mille façons d’être « frère », et je pou...
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