Cerf, coll. « Sagesses chrétiennes », 2006, 107 p., 15 euros.

Urs Von Balthasar déplorait le manque d’intérêt des théologiens pour l’oeuvre de Mechtild de Magdebourg. Il saluait en elle « le deuxième sommet de la théologie charismatique du Moyen-Âge, après Hildegarde et avant Eckhart ».
Avec une respectueuse et savante passion, Waltraud Verlaguet nous ouvre la demeure de Mechtild en croisant sa vie et son oeuvre. Des extraits de La lumière fluente de la Divinité (Jérôme Millon, 2001) éclairent de l’intérieur l’apport biographique ainsi que l’analyse de l’évolution conjointe de la société et des formes de la spiritualité au XIIIe siècle. Représentative de ces femmes vivant
une vie religieuse hors couvent, nourrie de littérature courtoise, s’abreuvant aux sources cistercienne, dominicaine et franciscaine, Mechtild n’en suit pas moins un chemin original. Tout au long de sa vie et jusqu’aux dernières années vécues chez les bénédictines de Helfta, elle s’interroge sur l’absence de Dieu. La quête amoureuse du Bien-Aimé qui se dérobe va bien au-delà des règles du jeu courtois : « Je suis sa joie. Il est ma souffrance », écrit-elle. Il ne s’agit pas de dolorisme mais d’une lucidité spirituelle qui l’invite à reconnaître le sentiment de l’absence de Dieu « intégré à l’union mystique elle-même ». Cet éloignement, vécu comme sacrement de « l’attente entre fiançailles et épousailles », la confirme comme bien-aimée de Dieu et la conforme au Christ abandonné sur la croix. Cette solitude existentielle, loin de l’enfermer, l’ouvre à l’intercession pour les autres.
La fraîcheur désarmante de l’écriture de Mechtild se conjugue heureusement avec un vocabulaire évolutif. Ainsi, l’absence de Dieu perçue comme un exil consonne avec la nudité spirituelle chère au Pseudo-Denys. Le théologien spéculatif situait le dépouillement de l’esprit dans une dynamique ascensionnelle vers Dieu. Mechtild fera de cette métaphore abstraite « une image concrète chargée d’érotisme » dans un mouvement inverse, celui de la descente, « jusqu’à l’abandon total de soi » en conformité avec la kénose de Dieu.