Le vers, sublime, qui donne son titre à cette méditation philosophique, est de Dante. Il signe la disparition de Béatrice. L’image est repérée aussi chez Descartes, puis chez Henri Maldiney. Toutes disent que le mal est aussi profond qu’éclatant. Qu’il vibre dans nos chairs, consciences, héritages, familles. D’une sourde vibration, d’un « rayonnement paradoxal » qui, dit Philippe Grosos, est le « mode d’être du mal ». C’est cette approche qui constitue la force et la nouveauté de ce bel essai, où l’auteur nous conduit avec une sérénité forte de la conscience de l’insondabilité du mal (non de sa radicalité, comme il ressort d’une passionnante discussion menée avec Kant et Schelling, révélant des pages fascinantes de ce dernier), d’un mal « immaîtrisable » qui rend vaine toute rationalisation, toute théodicée : « Insondable, le mal n’est accessible que par ses effets. »

L’échec de la pensée totalisante à penser le mal n’ouvre sur aucun renoncement à le refuser, mais au contraire, au prix d’une méditation du péché et du destin, à accueillir le réel dans sa surprenante nouveauté. Car le mal est bien immaîtrisable dans tous ses effets, y compris par le bien qui peut en naître, « ironie » qui ne le justifie en rien : blessure non à guérir, mais à bénir, pour reprendre une formule de Jean-Louis Chrétien qui vient sous la plume de Philippe Grosos au moment, non de conclure, mais de nous lâcher la main et laisser méditer dans l’écume de ces belles pages.
Franck Damour