Après des années dramatiques pour les chrétiens et pour tous les Algériens, les tensions se sont apaisées sur les Hauts Plateaux d'Algérie et la violence s'est réfugiée dans certaines forêts de montagne ou des aires de pâturage éloignées ; la vie a repris son cours normal dans les villes et les grandes routes sont redevenues sûres. Le diocèse d'Oran a pensé que le temps était venu de rouvrir les paroisses qui avaient dû être abandonnées.
La ville que j'habite maintenant est une ville ancienne, située à 1 100 mètres d'altitude, adossée à la montagne et tournée vers le sud, à trois heures et demie de voiture d'Oran, sur la route de Chardaïa. Elle a peut-être 250 000 habitants la nuit beaucoup plus le jour : elle a grossi d'au moins six fois en quarante ans, c'est-à-dire depuis l'indépendance Fort romaine, puis évêché proche du limes, siège de principautés amazighes (berbères), le premier royaume musulman d'Afrique du Nord en fait sa capitale, un royaume hérétique qui affirme sa différence paisible, accueillante et prospère au cœur du Maghreb, avant d'être détruit par l'invasion purificatrice des Hilaliens au XI* siècle. Les survivants se sont regroupés au Mzab, autour de Chardaïa, et forment la minorité musulmane ibadite d'Algérie
L'historien arabe Ibn Khaldoun s'est retiré dans un village troglodyte des environs pour y écrire les Prolégomènes de sa Chronique universelle, prémices de l'histoire moderne des sociétés, au XIV siècle, et l'émir Abdelkader, chef de la résistance, poète et mystique, au moment de l'invasion française, y a établi la capitale de son royaume, mettant en place une administration efficace et battant monnaie, avant d'en être chassé par le plus fort du moment. La ville devint alors chef-lieu de l'administration coloniale, et des familles sans ressources vinrent d'Andalousie et de France s'installer pour cultiver le vaste plateau du Sersou ou exercer des métiers d'artisan. Des israélites y vivaient déjà, comme en de nombreuses régions d'Algérie, depuis des siècles. Dès 1860, un prêtre y a résidé en permanence et les curés se sont succédé jusqu'en 1994, quand les sanglantes incursions terroristes et l'éloignement ont contraint le diocèse à fermer la paroisse ; presque tous les chrétiens, des étrangers, étaient déjà partis.
Je suis prêtre diocésain du diocèse d'Oran, vivant en Algérie depuis plus de quarante ans. En octobre 2000, après onze années en charge de l'économat diocésain, dont six comme vicaire général de Pierre Claverie, l'évêque d'Oran assassiné en 1996, j'ai pu être remplacé et me suis trouvé disponible