Gilles Baudry, Jacques Dary, Pierre Tanguy
 
Abbaye de Landévennec
L’âme d’un lieu
Salvator, 2015, 128 p., 12,90 €.
 

On entend dans tous les poèmes de Jean-Pierre Boulic « le chœur des petites voix » évoqué par Verlaine dans sesAriettes oubliées. Mais la tonalité est bien différente : chez Verlaine, c’est la mélancolie automnale des « ramures grises » du paysage ardennais ; chez Boulic, c’est la « simple joie », souvent printanière, d’une nature qu’on devine bretonne : « le bouvreuil sur la tige », « l’eau passante qui converse avec la lumière au pied d’un saint taillé dans le granit ». On perçoit même la germination d’un « grain de silence » dans le limon du monde.

Ces voix, ce silence ne seraient pas entendus si la parole poétique ne les recueillait mais la frontière n’est jamais nettement tracée entre les suggestions du paysage, le chant qui « glisse de la colline » et les mots du poète qui nous les transmettent, même si, dit-il, « le monde n’a que tes lèvres / pour dire la terre et sa pudeur ». Il écrit encore : « Poème si tu pouvais te faire mouette. » La parole circule ainsi entre les noms et les choses. Elle s’élève à partir d’un silence qui est leur fond commun, et annonce « le Verbe à venir ». Même la montagne muette participe à ce concert et à cette attente : « Sous sa bure, le vieux Ménez-Hom / Rejoint l’éternité. »

Mystère et transparence échangent ici leurs vertus. Tout est précisément nommé, mais tout communique et s’ouvre à un « indicible » qui ne peut être que pressenti : « C’est au cœur de la brise / Que les yeux d’amour voient. » Cette poésie discrètement chrétienne (sur la route où l’on marche, on parle et on doute, « Quelqu’un » nous rattrape ; la Vierge voisine avec les roses) ne met aucun péage confessionnel sur le chemin du lecteur. Elle se contente de le tourner doucement vers un au-delà qu’elle loue sans le désigner, comme Grégoire de Nazianze, cité à la fin du recueil : « Tout ce qui se dit, tout ce qui se pense est sorti de l’au-delà de tout ; il est ineffable, inconnaissable, innommable, et vers Lui tout être qui sait lire son univers fait monter un hymne de silence. »

Signalons à côté de ce recueil l’attachant petit livre inspiré lui aussi par la terre bretonne :Abbaye de Landévennec. L’âme d’un lieu. Non plus un chœur, cette fois, mais un trio de voix ou de mains pour célébrer ce havre de paix monastique situé à l’embouchure de l’Aulne et au fond de la rade de Brest. Pierre Tanguy, poète publié comme Jean-Pierre Boulic à La part commune, y évoque en « quinze petits tableaux » ses rencontres émues avec le lieu et ses hôtes ; Gilles Baudry, moine de l’abbaye et poète, publié principalement chez Rougerie, nous donne une précieuse anthologie de ses poèmes où il « touche du doigt / le braille de l’invisible », et Jacques Dary, aquarelliste et pèlerin, les accompagne avec de beaux aperçus de l’abbaye et de son paysage en toutes saisons, sobres et suggestifs, qui invitent à faire le voyage.

Jean-Pierre Lemaire