Nous reproduisons ici le deuxième chapitre du livre III des Questions sur l’amour de Dieu : « De la paix abondante que Dieu donne à tous ceux qui se résolvent à le servir en la perfection de son amour ». Dans sa préface à l’édition qu’il a faite de cet ouvrage, Henri Laux, s.j., commente ainsi ce chapitre : « Ce texte est exceptionnel par son rythme, cassé, saccadé, où les phrases se retournent sur elles-mêmes, se cognant et s’entrechoquant comme par maladresse ; les mots se fracassent les uns sur les autres puis s’écoulent dans la paix ; il y a de la lourdeur aussi, mais comme pour dire la puissance de ces eaux, lourdes en effet de leur poids et de leur mouvement, abondantes cependant dans leur pleine présence à la terre. Ainsi est la paix. Après le tumulte qui n’est pas celui de l’adversité, mais celui d’une venue solennelle, voici la surface sans ride de la paix de l’amour, une paix non étriquée car elle a la profondeur des océans. »
En effet, Surin semble faire mémoire de ses vingt ans d’obscurité, de maladie mentale, de perte de lui-même, qu’il relit comme une expérience où l’Esprit œuvre jusque dans les tourments intérieurs les plus pénibles. D’où l’on voit que la mémoire d’un passé très éprouvant peut être un précieux auxiliaire du discernement quand elle permet de reconnaître la douceur de Dieu même dans nos croix.
Quel est le premier bien que Dieu donne à ceux qui sont établis en son amour ?
C’est la paix. Il semble que cela est exprimé par la parole du prophète royal : Declinabo super eam quasi fluvium pacis [« Je ferai couler sur elle comme un fleuve de paix », Is 66,12].
Quand Dieu a fait passer l’âme par les travaux ou par les passages ténébreux de la montagne et qu’il commence à lui faire voir la lumière de cette région sublime de son amour, il fait écouler sur elle une paix abondante comme un grand fleuve. Ce sont des torrents de paix. Non seulement c’est un calme qui ressemble à la bonace de la mer ou au cours tranquille des grands fleuves, mais cette paix et ce repos divin vient dedans comme des torrents qui l’inondent, et l’âme sent vraiment, après les tempêtes passées, comme des inondations de paix ; et le goût du repos divin non seulement entre dans l’âme et s’en saisit, mais la vient assaillir en la façon de quantité d’eaux.
Nous trouvons que l’Esprit de Dieu fait mention en l’Apocalypse [14,2 ; 15,2] des jeux de harpe et de luths comme des tonnerres. Ce sont les manières d’agir admirables de Dieu : faire des tonnerres qui semblent des luths accordés, et faire des concerts de luths qui semblent des tonnerres. Aussi, qui le croira, qui se l’imaginera jamais, de voir des torrents de paix qui enlèvent des chaussées, qui rompent des digues, qui enfoncent les barricades ? Cela se fait néanmoins, et c’est le propre de Dieu de faire des assauts de paix et des silences amoureux.
Quand l’âme a été longtemps dans les peines que nous avons décrites ailleurs, Dieu la met en assurance, lui don...
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