Quoique les deux derniers livres le Philippe Mac Leod appartiennent à des genres différents (l’un est une suite de méditations, l’autre un recueil de poèmes), ils forment un diptyque. Le titre du second fait d’ailleurs écho à une phrase du premier (« Le vif, le pur, le vivant en sa pointe la plus aiguë ») autant qu’à l’un des poèmes du recueil qui développe ces deux mots différemment (« Le vif, le pur, à l’heure où l’azur se boit et se respire »). C’est en effet la même leçon de vie qui court d’un livre à l’autre ; elle est d’abord dispensée au fil de promenades spirituelles au lecteur – qui prend la figure d’une interlocutrice – avant d’être au cœur de l’expérience du poète, approfondie jusqu’au plus intime de la chair et de l’âme.
Dans Avance en vie profonde, Philippe Mac Leod rappelle que, pour saint Augustin, la création est notre première Bible. Aussi nous rend-il attentifs aux « leçons » de l’arbre, de la fleur, du chemin à flanc de montagne, du ruisseau. Que nous enseignent-ils ? La fidélité à un élan et à une croissance inscrits dans le germe qui est en nous. Ce mouvement nous ouvre, dans la fulgurance de l’extase ou, le plus souvent, dans une patiente maturation, à plus grand que nous. Entre notre existence actuelle et ce but au-delà de nous subsiste toujours une distance qui est le lieu, le temps, où nous pouvons grandir. On est conquis par le dynamisme et la largeur de cette vision du christianisme. Le livre contient de magnifiques pages sur la Vierge immaculée (l’auteur vit près de Lourdes), « pleine de grâce, parce qu’elle est toute ouverture à la grâce » ; sur l’Esprit saint qui nous anime de l’intérieur (« Dieu ne fait rien du dehors ») et dont nous apprenons peu à peu à reconnaître l’action ; sur la Présence réelle – moins celle que nous adorons dans le Saint-Sacrement exposé devant nous que celle du Dieu qui veut devenir « présent » en nous par l’Eucharistie et la prière –, et notre « accompagnateur » nous apprend chemin faisant comment mieux prier.
Les versants négatifs de notre expérience bénéficient également de cette approche renouvelée et libératrice. Le péché est ainsi compris comme régression, fermeture devant l’appel à grandir, à s’ouvrir, et l’idole comme piège qui nous arrête aux apparences, nous détourne de la source secrète. Ces leçons sont données sur le ton de la conversation, mais avec une richesse de vocabulaire et une souplesse dans la phrase qui invitent à y revenir. Le « disciple », nous l’avons dit, est une interlocutrice, ce qui donne peut-être une finesse supplémentaire aux belles méditations sur le visage, le sourire, les mains de l’autre.
La première section du recueil Le vif, le pur s’intitule justement « Poèmes pour un visage » et le ton change, s’approfondit, en même temps que les traits de celle qu’il faut désormais appeler une partenaire se précisent : les yeux clairs, la courbe du menton, les doigts sont contemplés avec un émerveillement qui est celui de l’amour, presque douloureux à force de délicatesse. Cependant, l’ultime pas ne sera pas franchi ; entre l’homme et la femme sera gardée une « distance radieuse », afin que chacun reste pour l’autre le chemin qui le mène au-delà d’eux-mêmes : « Comment dès lors nous aimer, sinon dans ce souffle qui nous enlève tout / surpris par un bonheur sans nom ni contours / qui déjà nous apprend / à respirer plus haut que nos cœurs trépidants. »
Rien n’arrêtera ensuite une traversée qui nous fait passer d’une saison à l’autre, de la montagne à l’océan, avec une prédilection pour l’arête des cimes, la crête des vagues, la « pointe glacée aux transparences du ruisseau qui mord », tout ce qui nous affûte, nous affine, nous blesse parfois pour nous porter à nos limites. Le poète est ce frontalier, hantant les lisières de la terre et du ciel, du temps et de l’éternité, « mi-homme mi-oiseau, frôlant l’infini sans jamais trouver la couture ». Le mouvement poétique épouse ce bond vers les confins, repris à chaque respiration, prolongé en vagues successives qui drainent les alentours de la sensation initiale, pour s’achever dans la résolution complète du son et du sens, avant de se rassembler pour un nouveau départ. Il s’agit bien à chaque fois d’aller « jusqu’au bout d’un élan » qui revient à Celui qui l’a suscité, d’un élan où l’on s’oublie pour ne plus connaître, en avant de soi, que Celui qui nous appelle.

Jean-Pierre Lemaire