À Pierre Sauvage, jésuite

Luis de León (1527-1591), augustin, était un professeur d'Écriture sainte réputé à Salamanque, et non moins poète reconnu, à la fois mystique et satiriste. L'homme n'était pas à prendre avec des pincettes. Ordinairement taciturne, il pouvait se montrer publiquement offensif – pour ne pas dire offensant – vis-à-vis de ses pairs et de ses supérieurs. En outre, contre ceux qui ne juraient que par la traduction grecque de l'Ancien Testament, la Septante, il défendait avec rage le recours systématique à l'original hébreu. Suivant ce principe, il publia des traductions commentées de Job, de la Sagesse et du Cantique des cantiques. Sans compter l'adaptation de l'édition de la Bible établie et annotée par François Vatable (du Collège de France) qui mettait en regard version hébraïque et version grecque.

Cette édition mit le feu aux poudres. Les adversaires hellénisants de Luis de León dénoncèrent son hétérodoxie au Grand Inquisiteur récemment promu : il était des leurs et fit alors arrêter frère Luis au beau milieu d'un cours magistral. On l'expédia à Valladolid, en la prison centrale du Royaume, où, avec trois autres collègues hébraïsants, il passa presque cinq ans à l'isolement, dans l'attente d'un jugement. L'une des principales tortures qu'on lui infligea fut d'être à la merci des sbires du Saint-Office. Il est poignant de lire les lettres de Luis de León obligé de mendier papier, plume et encre, puis six ou sept livres de base pour continuer à étudier, défendre sa dignité. Il est poignant de voir ce grand esprit se heurter à une bureaucratie rechignant à répondre à ses demandes car incapable de comprendre la nature et encore moins la valeur de ses travaux. À ces épreuves s'ajouta la mort de son meilleur ami et codétenu, Gaspar de Grajal, qui avait sombré dans la dépression...

Vint le procès qui blanchit totalement Luis de León. Il retourna à Salamanque, y fut porté en triomphe jusqu'à la chaire d'où on l'avait ôté sans ménagement et, alors que tous s'attendaient à ce qu'il se lançât dans une diatribe du feu de Dieu, il se contenta d'un « Nous disions hier… » avant de poursuivre le cours interrompu des années auparavant sur le ton le plus détaché, le plus monocorde qui fût. Cette réaction a souvent été commentée comme l'envoi aux oubliettes non seulement de cette longue incarcération mais aussi de ceux qui firent assaut de bassesses pour l'y maintenir aussi longtemps que possible… Le dizain que frère Luis composa « au sortir de la prison » le confirme en partie – mais en partie seulement – car il y met au jour, in fine, la manière dont il a surmonté s...


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