Le « seuil du monde » est pour l’auteur un petit monastère bénédictin des confins de l’Aube et de l’Yonne, qui n’offre aucune qualité ni richesse remarquable dans un environnement sans relief et une histoire sans éclat. On ne peut l’aimer que pour ce qu’il est : « le seuil d’une compréhension renouvelée » qui oriente toute une vie d’adulte, à partir d’une rencontre décisive. Ce petit livre est en effet le récit sobre d’une conversion intérieure où le lecteur se sent rejoint dans les tensions qui fragmentent sa vie, comme dans son désir d’une vie plus unifiée et pacifiée.

« La vocation du cénobite est de chercher Dieu sans intermédiaire. Celle du gyrovague, de chercher tous les intermédiaires qui pourront nous détourner de Dieu. » Cette opposition, propre à la vie monastique, structure tout ce récit et déchiffre lumineusement ce qui est en jeu dans nos rythmes de vie inhumains. Par tout ce qu’il « institue » – la paix, le silence extérieur et intérieur, l’écoute de la Parole, la liturgie et l’alternance régulière de l’office et du travail, le dialogue avec un frère –, le monastère donne d’abord à éprouver aux gyrovagues modernes que nous sommes le bruit, la pression, l’accélération sans frein qui fait exploser nos existences. Accueillir et goûter le temps comme un don qui ne nous sera pas repris, telle est la conversion véritable à laquelle nous convie le monastère, à l’image des cénobites. Son rythme de vie, de prière et de travail « défragmente » et unifie intérieurement celui qui s’y offre. Le présent y est rendu comme un fondement dont nul ne peut se passer. Il s’expérimente « au seuil du monde » comme le temps retrouvé de la présence et de la disponibilité à Dieu, à soi, aux autres et à ce qui nous entoure.
Ce réapprentissage du temps donné et de sa valeur – rendre grâces à Dieu par toute sa vie – ne résulte pas d’une méthode et n’induit aucune idéalisation ou nostalgie d’un temps passé. Tout l’objet du dernier chapitre, intitulé très justement « Remembrement », est d’évoquer comment ce nouveau rapport au temps rassemble dans un moi plus unifié, debout et modeste, ce qui se fragmentait sous l’accélération du temps. De manière touchante et authentique, l’auteur y exprime la patiente tâche de conversion qui s’amorce à partir de là, en renouvelant le rapport à la chair, au travail et à la Charité. L’émerveillement devant la beauté de la vie, la joie de créer et de construire avec d’autres, le sens de l’amour et de la justice témoignent de la joie spirituelle qui traverse ces trois registres fondamentaux de toute vie humaine.
Remi de Maindreville