Cet article vise à examiner comment l'au-delà de l'accompagnement a son importance dans la définition même du cadre général selon lequel va se déployer celui-ci. Des tentations peuvent également peser sur la nature des relations entre accompagnateur et accompagné, après l'accompagnement proprement dit.
 

Il existe des situations où le début d'un accompagnement est marqué par la connaissance claire du terme de celui-ci, comme lors d'une retraite à durée choisie. Mais il existe aussi des situations où le commencement de l'accompagnement ne donne pas de visibilité précise sur son terme. On accompagne ou l'on est accompagné : mais pour combien de temps ? Vers quel terme ? Et l'on ajoutera : vers quelle fin ?

La finalité de cette relation

Quelle est la finalité de l'accompagnement spirituel ? La question n'est pas anodine et mérite d'être clarifiée, tant du côté de l'accompagnateur que de la personne accompagnée. Cette finalité est de parvenir à une docilité à la conduite du Saint-Esprit, « s'abandonner à la conduite du Saint-Esprit »1, voilà le programme de la vie spirituelle chrétienne. L'accompagnement est, au fond, un moyen pour aider une personne à avancer vers cette aptitude à l'abandon. Il s'agit de disposer d'une suffisante connaissance de soi, et de soi devant son Seigneur, pour pouvoir poursuivre la quête en autonomie. À l'opposé de l'emprise qui maintient sous contrôle, l'accompagnement spirituel vise tout au contraire à permettre au sujet croyant de cheminer de façon autonome dans sa recherche de Dieu et dans sa relation à lui. Celui ou celle qui s'abandonne ainsi à la docilité au Saint-Esprit croît en liberté. Pour éviter tout risque de dépendance (affective ou autre) dans la relation d'aide, il faut donc toujours vérifier si la liberté intérieure du sujet accompagné est en croissance ou non. De même, il est bon de regarder de près ce qui concerne les fruits de douceur, de créativité ou de souplesse, comme autant de critères qui permettent d'évaluer la direction que prend l'accompagnement spirituel. L'un des enjeux de l'accompagnement spirituel consiste précisément à aider une personne à gagner en souplesse, en créativité et surtout en douceur2 envers le prochain comme envers soi-même. Trois aptitudes qui s'opposent frontalement avec quelques caractéristiques typiques de l'emprise : la rigidité (morale ou autre), la sclérose et surtout la dureté.

Quand et comment terminer ?

Venons-en maintenant au cœur de notre propos : ce qui se joue après l'accompagnement. Pour ce faire, commençons par nous demander quand et comment se termine un accompagnement spirituel.

Dans le cas d'une retraite, dont la durée est limitée, la chose est évidente. Il s'est vécu une rencontre pour un temps. La personne qui accompagne aura eu accès à un bout d'histoire spirituelle. Elle ne sait pas tout de la personne accompagnée et elle n'a pas à en savoir davantage. Au fond, une bonne image serait celle de l'itinérance : l'un et l'autre ont fait un bout de chemin ensemble dans une quête qui reste bien plus vaste.

Dans le cas d'un accompagnement « au long cours », c'est-à-dire dans la vie, la perspective de l'arrêt est moins évidente. Des liens se sont tissés entre accompagnateur et accompagné qui ont aussi leur charge émotionnelle, d'affinité, voire d'affection. Il peut y avoir un plaisir à rencontrer l'autre, mais ce sentiment ne peut suffire à justifier la continuation de la relation d'accompagnement. En fait, il est bon de revenir de temps en temps aux motifs initiaux de la demande d'accompagnement, d'une part, et de se demander, d'autre part, si l'objectif de cet accompagnement n'est pas atteint.

Bref, il semble important d'ouvrir régulièrement un espace de discernement pour juger de l'opportunité de poursuivre ou non ce type d'accompagnement. Je retiens, par exemple, une manière de faire que m'a partagée un jour un père spirituel expérimenté. Il m'expliquait qu'à la fin de chaque année, il réexpliquait aux personnes qu'il accompagnait les conditions initiales de leur demande d'accompagnement. Il proposait alors de s'interroger sur l'opportunité de poursuivre ou non l'année suivante. Concrètement, la personne accompagnée avait l'initiative (par exemple, à hauteur des vacances d'été) de reprendre contact ou non à la rentrée, en demandant un nouveau rendez-vous. Il était clair que le fait de ne pas poursuivre ne générerait en soi aucun grief de la part de l'accompagnateur. En effet, l'accompagnement est un service et non un devoir. Une fois encore, la clé est celle de la liberté.

L'au-delà de l'accompagnement

Une fois un accompagnement terminé, que se passe-t-il ? En effet, le fait de mettre fin à une relation d'accompagnement (de type pédagogique, dans une institution éducative, ou de type spirituel) ne signifie pas nécessairement que les ponts sont entièrement coupés entre les deux personnes concernées.

La personne qui accompagne peut se réjouir profondément d'avoir été témoin de l'œuvre de Dieu dans une vie. Car il y a de la joie à voir une personne avancer spirituellement. De même, la personne accompagnée peut être habitée d'une profonde reconnaissance pour celui ou celle qui l'a écoutée, soutenue, éclairée, conseillée. Il existe une fécondité relationnelle dans l'Esprit saint qui est légitime. Le Christ lui-même a exulté de joie lorsqu'il a entendu les fruits que portaient ses disciples envoyés en mission (Lc 10,17-22).

Mais que faire de cette joie ? Comment l'accueillir sans en jouir ? Comment la recevoir sans la rechercher pour elle-même ? Autant de questions qui touchent tout autant l'éducateur, le thérapeute que toute personne impliquée dans une relation d'aide, à commencer par l'accompagnement spirituel.

• Une première piste consiste à bien se remettre dans la dynamique du service. Se reconnaître comme un simple serviteur, humble, de quelque chose qui nous dépasse. Pour l'accompagnateur, cela suppose de bien s'approprier la parole de Jésus : « Nous sommes de simples serviteurs, nous n'avons fait que notre devoir » (Lc 17,10).

Il est bien légitime de rendre grâce pour le service d'accompagnement spirituel qui a été rendu. Mais cette action de grâce doit s'inscrire dans une profonde dynamique d'humilité qui ne cesse d'orienter les bienfaits constatés vers leur origine véritable qui est la grâce divine.

• Une deuxième piste touche au détachement envers toute forme de reconnaissance. L'épisode de la guérison des dix lépreux dans l'évangile de Luc (Lc 17,11-19) a quelque chose de sympathique à cet égard ! Sur dix lépreux purifiés par Jésus, il ne s'en trouve qu'un seul pour revenir vers le Christ en glorifiant Dieu. Il est d'ailleurs précisé qu'il s'agit d'un Samaritain, réputé plus hostile envers les Juifs. Dans l'univers de l'éducation, la reconnaissance d'un ancien élève vis-à-vis de tel ou tel professeur ou éducateur n'atteint pas toujours les 10 %. Et, quelques fois, on s'étonne même que les plus reconnaissants soient ceux qui ont eu le plus de difficultés (y compris comportementales).

En fait, il est sain pour toute personne engagée dans une relation d'aide de se libérer de tout souci de reconnaissance. Il faut accepter d'être « oublié ». Au moins y a-t-il, dans une telle disposition, la meilleure garantie que l'on ne cherche pas à agir dans le cadre de cette relation pour obtenir une gratification narcissique. C'est pourquoi, le devenir de la relation au-delà de l'accompagnement offre une bonne manière d'évaluer ce risque. Car le risque existe ! « Être redevable » ressort d'une dynamique marchande, là où il s'agit de vivre dans un régime de gratuité relationnelle. Cette aide reçue ou donnée vient de plus loin que soi. Et l'ultime reconnaissance doit s'adresser à Dieu, comme l'enseigne le Christ. En effet, lorsque le lépreux reconnaissant revient vers lui, Jésus dit : « Il ne s'est trouvé que celui-ci pour rendre gloire à Dieu ? » Il n'a pas dit : « Il ne s'est trouvé que celui-ci pour me remercier. »

• Une troisième piste touche le problème de l'insertion de ce type de relation dans la construction d'un réseau relationnel. Il semble assez clair, dans le cadre de l'accompagnement spirituel, que la fin d'un tel accompagnement ne suppose pas de garder le contact. Mais, pour d'autres types de relations pastorales ou éducatives, il est fréquent que les rencontres initiales se prolongent dans un réseau relationnel plus ou moins serré. Telle ancienne étudiante d'une aumônerie reprendra contact avec vous pour une préparation au mariage. Tel couple que vous avez marié vous demande de faire le baptême de leur enfant. Tel étudiant que vous avez connu vous sollicite pour un service ou un conseil. Jusqu'où aller dans l'acceptation de services pastoraux pour lesquels vous êtes sollicité ? Indépendamment de toute notion d'emprise, la question n'est pas sans importance. Est-il souhaitable de devenir, de facto, « l'aumônier attitré » d'une famille ou d'un groupe électif ?

Pour répondre, remarquons qu'il y a une différence entre être appelé pour rendre ce service supplémentaire issu d'une relation pastorale précédente et le fait de faire en sorte d'être appelé ! En effet, il ne manque pas de moyens pour « se rappeler à la mémoire » de quelqu'un avec lequel a pu se vivre une relation d'accompagnement pastoral, éducatif ou spirituel. La montée en puissance des réseaux sociaux (Facebook, Instagram, LinkedIn, etc.) s'insère dans cette problématique délicate. Est-ce déontologiquement légitime qu'un accompagnateur spirituel et un accompagné soient « amis » sur Facebook ? Au-delà de l'accompagnement (quel qu'en soit le terme) faut-il conserver un contact sur les réseaux sociaux ? Ces questions nouvelles ne sont pas évidentes à trancher, mais elles méritent d'être l'objet d'un véritable discernement pour juger de la juste attitude à adopter.

Dans le cas d'anciens élèves fréquentés dans le cadre d'une institution scolaire ou d'enseignement supérieur, est-il pertinent de « garder contact » sur un réseau social ? Si oui, lequel choisir ? Faut-il choisir le genre Facebook où s'exposent des tranches de « vie privée » livrées à un cercle plus ou moins ouvert ? Faut-il choisir le genre LinkedIn qui donne une information publique sur le parcours professionnel ? Les variations sur le thème « Que sont-ils devenus ? » sont devenues plus nombreuses et plus diversifiées. Les médiations se sont multipliées. Alors, que veut-on savoir sur quelqu'un ? Pour quelle raison ? Pour quel usage ? Selon quelles motivations ?

Toujours en chemin

Au terme de ce propos, nous retiendrons que, dans le cas de l'accompagnement spirituel, il est essentiel d'expliciter les raisons qui poussent à se lancer dans une telle relation. Or, le fait d'avoir à l'esprit la fin temporelle d'un accompagnement oblige à examiner de façon plus consciente la finalité de celui-ci. Le vers quoi ? ou le vers qui ? de la relation d'accompagnement renvoie nécessairement au jusqu'à quand ?, et inversement.

Le Christ et, à sa suite, les Apôtres furent essentiellement itinérants. Cette figure de l'itinérance, rappelée par Jésus dans ses consignes, sollicite plus activement la liberté que le sujet croyant se doit de mobiliser. Bien que dissymétrique, la relation d'aide en général (et particulièrement l'accompagnement spirituel) gagne à s'exercer dans une temporalité qui assure un terme possible, à l'exact opposé de l'emprise qui cherche à maintenir une dépendance. La joie et la reconnaissance, qui peuvent éventuellement advenir au cœur de ces magnifiques et si profondes expériences d'humanité, fleurissent d'abord comme des grâces.

La dynamique profonde de la foi ne peut être que celle du don de soi, alors que celle de l'emprise vise à s'approprier l'autre. Aussi, l'accompagnement spirituel s'inscrit-il résolument dans une telle démarche de don. Vécu dans un esprit de service et d'humilité, il est plus certain d'échapper aux risques d'abus ou de manipulation. En Église, selon la manière de faire du Christ, la personne qui accompagne offre un service où l'on donne ce que l'on a soi-même reçu. Et, moyennant la grâce de Dieu, il est même possible de transmettre bien davantage que ce dont on a soi-même été bénéficiaire.

On reconnait l'arbre à ses fruits

De l'usage des règles de discernement pour évaluer un accompagnement

En regardant la troisième et la quatrième règle de discernement en deuxième semaine (nos  331-332) et en les appliquant par analogie à la relation de l'accompagnement spirituel, il me semble que l'on comprend mieux la frontière entre une pratique vertueuse et une pratique perverse.

[331] La troisième. Avec une cause, le bon ange aussi bien que le mauvais peuvent consoler l'âme, mais à des fins contraires : le bon ange pour le profit de l'âme, afin qu'elle croisse et s'élève du bien vers le mieux ; et le mauvais ange, pour le contraire, et afin de l'entraîner à l'avenir dans son intention maudite et sa perversité.

Si le bon ange occupe la figure d'un accompagnateur équilibré et expérimenté, et si le mauvais ange occupe celle d'un accompagnateur mal équipé ou maladroit, alors la règle nous éclaire pour qualifier la relation d'accompagnement comme bienfaisante ou perverse. Nous trouvons d'ailleurs ici une actualisation possible du critère évangélique donné par le Seigneur : c'est à ses fruits que l'on reconnaît l'arbre (Mt 7,17-20).

Voilà qui renseigne sur l'importance de se demander, au fil de l'accompagnement, et plus encore à son terme, si la personne accompagnée est en « croissance » et « s'élève » du bien vers le mieux, ou non. Les dérives sectaires ont donné une illustration de la manière perverse dont une relation d'aide pouvait se transformer en relation d'emprise.

[332] La quatrième . Le propre de l'ange mauvais, qui se transforme en ange de lumière, est d'entrer dans les vues de l'âme fidèle et de sortir avec les siennes, c'est-à-dire en présentant des pensées bonnes et saintes, en accord avec cette âme juste, et, ensuite, d'essayer peu à peu de faire aboutir les siennes en entraînant l'âme vers ses tromperies dissimulées et ses intentions perverses.

Les cas d'abus de conscience dont nous avons connaissance reposent presque tous au départ sur une tromperie (consciente ou non) quant à la prétendue « autorité spirituelle » du « directeur ». En se présentant comme un ange de lumière, le « maître à penser » exerce en fait une fascination qui finit par aveugler. Combien de groupements de nature religieuse (sectaires ou non) se développent sur cette fascination pour le fondateur ? Autorité incontestée et incontestable, absence de régulation et de contre-pouvoir, apparence de bonté plus ou moins mielleuse, douceur feinte ou fausse empathie qui cachent en réalité une âme contaminée par une volonté de puissance, de recherche de contrôle mental, voire de perversion.

Là encore, la finalité de l'accompagnement, exposée à son début et régulièrement rappelée, permet bien souvent de juger de l'évolution de la relation. Accompagnateurs et accompagnés seraient bien inspirés d'y revenir régulièrement.

 

1 Louis Lallemant (1588-1635), « La docilité à la conduite du Saint-Esprit », Doctrine spirituelle, DDB – Bellarmin, « Christus », n° 97, 2011.
2 François de Sales, Introduction à la vie dévote, Librairie Poussielgue, Paris, 1909, 3partie, chapitre 9.