Christus : Qu’est-ce que l’expérience artistique ? Comment la sensibilité y est-elle engagée ? L’oeuvre d’art ne nous pousse-t-elle pas sans cesse à nous exiler, à nous dépayser, pour nous faire habiter autrement notre vie ? Peut-elle nous faire pressentir l’absolument autre qu’est Dieu ? La forme d’un entretien à plusieurs voix, au coeur de ce dossier, manifeste la dimension ouverte des réponses que nous allons chercher avec vous… Pouvez-vous vous présenter ?

Geneviève Khemtémourian :
Mon art premier est la danse, je pratique également la sculpture ; l’un est davantage professionnel que l’autre, mais les deux sont indispensables. Dans le premier, le corps est la matière première ; dans le second, il y a projection dans la matière. J’anime des ateliers de danses du monde, que j’ai appelés : « Danses sacrées, danses pour le temps présent » à Paris, et un peu partout en France et à l’étranger.

Ghislaine Pauquet :
Je crois que, d’aussi longtemps que je me souvienne, je peins et je dessine. J’ai fait des études d’histoire de l’art et d’art plastique en parallèle — ce qui m’a conduit, avant d’être religieuse, à être conservateur des musées et à diriger une petite école d’art. Aujourd’hui, je suis animatrice dans un centre spirituel. J’y donne à découvrir ou à voir peintures ou sculptures dans des formations « Bible et Art », et, avec la terre, je propose « Argile en prière », au coeur des Exercices spirituels selon saint Ignace, avec par jour un exercice spirituel dans l’argile.

Jean-Pierre Lemaire : Je suis marié, j’ai trois filles. Pour l’essentiel de ma vie, je suis professeur de lettres, et je fais aussi de la poésie depuis maintenant trente-cinq ans. J’ai publié sept recueils.
 

La révélation artistique


Christus :
Comment vous rapportez-vous à l’art comme expérience ? Qu’est-ce que cela met en jeu de votre sensibilité ou de celle d’autres avec lesquels vous êtes dans l’ordre de la transmission ?

G. Pauquet :
Quatre ou cinq fois dans ma vie, j’ai vécu un choc esthétique — expérience bouleversante, déconcertante d’un rapport à la beauté me faisant presque oublier mon corps, le temps, l’espace, le rapport aux autres : les sens deviennent premiers, au point de provoquer une excitation intellectuelle, faisant appel à la mémoire. Le fait de voir entraînait mon corps à beaucoup de mobilité. Le jour où j’ai découvert les Nymphéas, j’étais pratiquement seule dans le musée — heureusement ! Je suis montée sur les banquettes, j’ai provoqué un trouble très fort chez les gardiens ! (C’est toujours un autre être humain présent dans ces espaces-là qui me ramène les pieds sur terre.) Expérience forte et assez déroutante, vécue avant l’entrée dans la vie religieuse. Je ne sais si je peux l’appeler « expérience spirituelle ».
La deuxième expérience est la création artistique. Pour moi, elle n’est jamais très loin d’un cri, de quelque chose qui vient de très profond en moi, en deçà des mots, mélange de souffrance et d’exultation, de l’ordre d’une expression inarticulée ; il n’est pas rare que dans la terre, en quelques minutes, puisse surgir quelque chose des mains. Vient ensuite une phase plutôt contemplative, avec la technique