Du 17 avril 1975 au 7 janvier 1979, le régime des Khmers rouges, connu officiellement sous le nom de « Kampuchéa démocratique », a mis en application une idéologie nouvelle afin de lutter contre l’individualisme et le libéralisme, considérés comme les deux plaies de la société moderne héritée du modèle occidental. Ces idéalistes utopistes ont institué et appliqué des directives inédites pour « remodeler » la conscience du peuple : « Anéantissez l’ordre ancien, remplacez-le par l’ordre nouveau ! » « Quand on arrache les herbes, il faut en extirper toutes les racines ! » Ces directives sont autant de mots d’ordre qui ont entraîné le massacre en masse de 20 % de la population. Car « celui qui proteste est un ennemi ; s’il s’oppose, il devient un cadavre ». Pour pouvoir survivre durant cette période d’anéantissement, chaque Khmer a été contraint de se plier à l’ordre de l’Angkar 1 : « Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien savoir, ne rien comprendre, aimer et obéir à l’Angkar sans poser de questions. »
Revenue de cet enfer, je ne peux que tenter de mettre des mots sur ma souffrance et celle de mon peuple. Des mots pour guérir les blessures de la chair. Des mots pour que la vie resurgisse de la déchirure. Des mots de la chair pour pressentir la résurrection du corps. Pour que mes mots soient « charnels », j’ai construit mon apport à partir des questions qui m’ont été posées par la jeunesse khmère à Phnom-Penh, l’année dernière.
Par cette démarche, l’Asiatique n’oublie pas la primauté de l’expérience dans sa culture khmère : l’argumentation intellectuelle n’est valable que si elle s’appuie sur l’expérience vécue. Une démarche qui permet à la chrétienne catholique de rester fidèle à sa foi dans l’Incarnation. Son raisonnement doit s’appuyer sur la particularité d’un événement réel avant de s’ouvrir à l’universel. « Le Verbe s’est fait chair » de saint Jean me rappelle